Synchronicités et autres Miscellanées : croire

Ce matin alors qu’il se promenait sur le chemin de halage jouissant pleinement du calme et de la belle lumière printanière, notre reporter (NR) a rencontré le Maître Zébulou Luchador (ZL) qui marchait à grand pas en sens inverse. ZL gesticulait et parlait très fort à un interlocuteur invisible relié à son conduit auditif par un ingénieux dispositif constitué d’un hautparleur miniaturisé fixé à un câble électrique muni d’un micro le tout connecté à un téléphone mobile. Voyant s’approcher notre reporter, ZL arracha d’un geste vif le fil de son oreille, non sans ponctuer son geste d’un définitif «et puis tu m’emmerde, salope».

ZL - Ah, vous tombez bien vous. Vous avez votre carnet de notes ? J’ai des trucs à vous dire.

NR – Quelle joie de vous voir, maître ! Oui, j’ai tout ce qu’il faut.

Voici donc, retranscrit sans fard, la teneur du tout dernier message que notre Maître a bien voulu nous dispenser.

ZL : Un de mes grands oncles (Tonton Félix, celui qui jouait du saxophone-basse dans la fanfare municipale de Carcassonne) disait toujours :

«Moi, je suis comme Fantômas : ça que j’le vois j’le crois ; ça que j’le vois pas j’le crois pas.»

Il se trompait. En général ce que vous voyez, n’existe pas. Pour être plus précis, ce qui existe, ce n’est pas ce que vous pensez voir. Il y a un certain nombre de raison à cela. Certaines de ces raisons sont liées à la manière dont fonctionne votre cerveau (ex : les biais cognitifs), d’autres sont liées à des actions extérieures visant à vous faire prendre des vessies pour des lanternes (ex : la prestidigitation). Nous allons passer en revue quelques-unes de ces raisons.

Votre esprit est formaté pour ne voir que ce qu’il s’attend à voir. Depuis votre naissance votre cerveau s’est forgé une représentation interne du monde. Lorsque vos yeux perçoivent une image, il serait impossible pour lui de traiter la masse colossale des données qui lui parviennent. C’est d’autant plus vrai pour les images en mouvement qui sont la règle dans le monde réel. Ce que votre cerveau décrypte et ce que vous percevez en fait ce sont les subtiles différences instantanées par rapport à un référent image préétabli qui est stocké dans votre mémoire. Même lorsque vous vous rendez dans un lieu que vous ne connaissez pas, votre esprit cherche d’abord à le relier à une image c’est à dire à une représentation déjà connue. Vous pensez voir le monde, mais ce que vous voyez, c’est la représentation que vous en avez vaguement mise à jour de minutes en minutes. Tenez, regardez-donc ce nuage qui passe dans le ciel.

- NR : Ce petit tout blanc, la-bas, en forme de boule de coton ?

- ZL : Oui, celui-là. Un enfant y verrait un lapin qui mange une carotte, ou l’avant d’une voiture qui montre ses dents, ou les fesses de sa grosse maitresse d’école… c’est son esprit qui cherche à y projeter quelques choses déjà connu. Vous, vous n’y voyez qu’un petit nuage anodin parce que, pour une plus grande efficacité, votre esprit a perdu cette faculté que l’on peut qualifier de créative.

- NR : Ben, c’est juste un petit nuage en fait. C’est normal que je voie un petit nuage blanc puisque c’est un petit nuage blanc.

- ZL : Si je vous montre que ce nuage n’est pas si petit que ça et qu’en fait il est gigantesque mais situé à la limite de la stratosphère, n’allez-vous pas le considérer avec un autre regard ? Si je vous dit qu’il n’est pas blanc, mais gris très très pâle car c’est le résultat d’un dégazage de l’usine chimique qui se trouve de l’autre côté de la colline, si je vous dit que c’est, en fait, un nouveau système de camouflage des avions furtifs de l’Otan, si je vous dit que c’est une méduse de ciel et que les particules qui le constitue ne sont pas des gouttelettes d’eau et de glace mais des êtres vivants auto-organisés qui pullulent de plus en plus dans l’atmosphère… Et pourtant, si je n’avais pas attiré voter attention sur ce nuage, vous ne l’auriez même pas vu.

- NR : N’empêche que c’est bien un nuage.

- ZL : C’est ce que vous croyez. Un petit nuage blanc qui se détache sur le bleu du ciel par un beau matin de printemps, ce n’est plus un nuage, c’est un archétype ! Enfin c’était un archétype, car on ne le voit plus. Soit il a été poussé par le vent, soit il s’est dissout dans l’air ambiant, soit il s’est vexé et il est parti rejoindre ses semblables au paradis merveilleux des petits nuages blancs.

- NR : Je ne veux pas vous heurter, cher Maître, mais il me semble que vous n’avez rien prouvé du tout.

- ZL : Si vous aviez lu ce matin dans le journal que des savants ont constatés une proliférations inquiétantes des méduses de ciel, si sur votre réseau social préféré, des personnes avec qui vous êtes relation avaient relayé des images surprenantes intitulées « méduses de ciel mythe ou réalité », si le porte-parole du gouvernement avait déclaré que ces méduses de ciels étaient de la pure foutaise, mais qu’ils enquêtaient tout de même au cas où… n’auriez-vous pas trouvé étrange la disparition subite de ce nuage ? Votre esprit ne fait pas que projeter sur le monde ses images intérieures. Il se met en phase avec les images véhiculées par le groupe. L’espèce humaine est constituée d’animaux sociaux. Nous sommes formatés pour faire comme les membres de notre groupe. Ce que nous voyons est une construction sociale.

- NR : Pourtant il y a des faits indéniables, scientifiquement prouvés ! Si j’avais analysé les gouttelettes de ce de ce nuage, j’aurais bien vu que qu’elle n’était que de eau.

- ZL : Tout aurait dépendu de la précision de votre instrument de mesure et de ce que vous vous attendiez à observer. Si je vous montre une photo en gros plan d’une tranche de salami et que je vous dis que c’est une coupe d’une cellule de poumon de cochon d’inde infectée par le dernier variant du virus de pangolin, vous allez voir ce virus sans coup férir, surtout si je me suis affublé d’une blouse blanche : vous voyez ce que l’on vous dit de voir. Mieux encore, si cette image vous parviens par plusieurs média accompagnée du même commentaire sans que vous y prêtiez spécialement attention, vous finirez par penser avoir vu ce virus sans même avoir cherché à regarder précisément cette image.

- NR : mais l’imagerie scientifique a permis de faire d’énorme progrès dans la détection des maladies, les cancers notamment.

- ZL : peut-être, mais avec quel résultat tangible ? Les soit disant progrès dans la survie des cancers sont simplement dû au fait qu’on les détecte plus tôt. Les gens meurent toujours autant, mais ils savent qu’ils sont malades pendant plus longtemps. Pire encore, une proportion non négligeable des « détections » sont des faux positifs. Cela signifie que les gens ont vu, ont détectés des cancers alors qu’il s’agissait de tout autre chose. Les médecins cherchent des cancers, alors, devinez quoi ! Ils trouvent des cancers, même lorsqu’il s’agit de tranches de salami. Et quand il s’avère que ce sont vraiment des cancers, ils traitent de nombreux cas qui auraient guéries d’eux même. L’imagerie invente des cas… Mais nous nous égarons.

-NR : en effet, il y a des choses que j’ai vécu et plein de souvenir visuels dont je me souviens parfaitement !

- ZL : Le croyez-vous !? Il existe de nombreux exemples de cas où des souvenirs ont été purement et simplement créés dans l’esprit des gens, par exemple lors de cures psychanalytiques ou lors d’épisodes de vie traumatiques… la mémoire détricote et retricote sans cesse le passé ! Vous pensez revoir en esprit un souvenir heureux ou malheureux, mais ce n’est que votre esprit qui vous fait du cinéma.

- NR : en fait, vous dite que tout n’est qu’illusion !

-ZL : pas du tout, j’affirme qu’il existe une réalité vrai, un monde véritable qu’il est possible de percevoir. Je dis simplement qu’il faut apprendre à maitriser ses sens, et notamment la vue ! Il faut s’arrêter et observer car pour observer vraiment il faut impérativement sortir du flux : si vous avancez au rythme du monde, vous ne voyez rien, tout semble immobile car tout bouge avec vous mais si vous vous posez sur la berge, alors toute la réalité vraie défile enfin devant vos yeux ébahis !